Effet Dunning-Kruger : quand l’incompétence devient toxique en équipe

5.5 mins de lecture | Sophie Fontelline & Noémi Capell | Article | Management

Managers : comment reconnaître et gérer l’effet Dunning-Kruger en entreprise ?

En réunion, c'est toujours le même collaborateur qui tranche sur tout avec une assurance déconcertante, pendant que les vrais experts restent silencieux. Cette scène vous parle ? Vous venez de croiser l'effet Dunning-Kruger.

« L'ignorance engendre plus souvent la confiance que la connaissance », observait Charles Darwin. Un paradoxe fascinant qui peut perturber la dynamique d'équipe et transformer vos experts en spectateurs frustrés.

La bonne nouvelle ? Ce phénomène n'est pas une fatalité et des solutions concrètes existent pour rééquilibrer la donne.

Comprendre l’effet Dunning-Kruger : quand la méconnaissance devient assurance

L’effet Dunning-Kruger, identifié en 1999 par les psychologues David Dunning et Justin Kruger, désigne une tendance paradoxale : les personnes les moins compétentes dans un domaine ont tendance à surestimer leurs capacités, tandis que les plus compétentes sous-estiment souvent les leurs (c’est d’ailleurs souvent le cas des personnes touchées par le syndrome de l’imposteur).

Ce biais repose sur une logique simple : pour évaluer correctement une compétence, il faut déjà en posséder les bases. Sans ces repères, les individus peuvent croire qu’ils maîtrisent un sujet… alors qu’ils n’en perçoivent que la surface. À l'inverse, plus on développe son expertise, plus on mesure la complexité du domaine et ses propres limites.

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Enjeux en entreprise : pourquoi l’effet Dunning-Kruger peut sérieusement freiner la performance de vos équipes

Dans un environnement professionnel où la collaboration et l’adaptabilité sont clés, l’effet Dunning-Kruger agit comme un grain de sable dans les rouages. Ce biais cognitif, s’il n’est pas identifié et géré, peut avoir des répercussions profondes sur la dynamique d’équipe et les résultats collectifs. Voici pourquoi :

1. Des décisions mal orientées

Lorsqu’un collaborateur surestime ses compétences techniques ou comportementales, il peut prendre des décisions sans consulter les bonnes personnes, ignorer les signaux d’alerte ou minimiser les risques. Résultat : des choix mal informés, des erreurs évitables et parfois des projets qui déraillent. Cette confiance excessive masque souvent un manque de maîtrise, rendant les erreurs plus difficiles à anticiper.

2. Un frein à la progression individuelle

La surestimation de soi peut bloquer toute dynamique d’amélioration. Le collaborateur ne voit pas l’intérêt de se former, de demander du feedback ou d’explorer de nouvelles méthodes. Il stagne, convaincu d’être déjà au bon niveau, pendant que d’autres progressent.

3. Des tensions interpersonnelles dans l’équipe

Un excès de confiance mal placé peut être perçu comme de l’arrogance ou du mépris. Les collègues se sentent frustrés, voire méprisés, surtout si la personne critique les autres sans fondement ou refuse de reconnaître ses erreurs. Cela nuit à la coopération et peut provoquer des conflits.

4. Une charge mentale déséquilibrée

Quand certains surestiment leurs capacités, d’autres doivent compenser. Les collaborateurs les plus compétents finissent par corriger les erreurs, reprendre les dossiers mal gérés ou assumer des responsabilités supplémentaires. Cela entraîne fatigue, découragement et parfois désengagement.

5. Une perte de crédibilité managériale

Si le manager laisse faire (par peur du conflit ou par méconnaissance du biais) l’équipe peut perdre confiance dans sa capacité à évaluer équitablement les compétences. Cela alimente un sentiment d’injustice : ceux qui font bien leur travail se sentent invisibles, tandis que ceux qui se surestiment occupent l’espace.

Comment repérer l’effet Dunning-Kruger dans vos équipes ?

Voici quelques signaux d’alerte à observer :

  • Une confiance affichée disproportionnée par rapport aux résultats ou à l’expérience
  • Une résistance aux feedbacks, aux formations ou aux remises en question
  • Une simplification excessive de tâches complexes ou une critique injustifiée des autres
  • Une absence d’auto-évaluation réaliste, voire un rejet des responsabilités

Attention : il ne s’agit pas de juger, mais de comprendre les mécanismes à l’œuvre pour mieux accompagner.

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5 stratégies managériales pour gérer l’effet Dunning-Kruger

Avant de plonger dans les solutions concrètes, il est essentiel de comprendre que l’effet Dunning-Kruger n’est pas une faute volontaire, mais un biais cognitif inconscient. Il ne s’agit donc pas de « corriger » un comportement, mais d’accompagner avec discernement. En tant que manager, vous avez un rôle clé à jouer pour créer un environnement où chacun peut prendre conscience de ses limites, progresser sans perdre confiance, et contribuer pleinement à la performance collective.

Voici cinq leviers à activer pour transformer ce biais en opportunité de développement :

1. Créer une culture du feedback transparent

Le feedback régulier, factuel et bienveillant permet de réaligner les perceptions. Il aide les collaborateurs à mieux se situer et à progresser sans se sentir attaqués. Encouragez aussi les feedbacks entre pairs pour multiplier les perspectives.

Cas pratique :

Lors d’un point hebdomadaire, un collaborateur affirme avoir « parfaitement géré » un projet, malgré plusieurs retours clients négatifs. Le manager lui propose un débrief structuré avec des données concrètes (retards, insatisfactions) et l’invite à réfléchir à ce qui pourrait être amélioré, tout en valorisant les points positifs.

2. Objectiver les compétences et les résultats

Utilisez des indicateurs clairs et mesurables pour évaluer les performances. Cela permet de sortir du subjectif et d’ancrer les discussions dans des faits. Les entretiens d’évaluation doivent s’appuyer sur des données concrètes, pas sur des impressions.

Cas pratique :

Plutôt que de dire « tu n’es pas assez rigoureux », le manager montre que le taux d’erreurs dans les rapports du collaborateur est de 12 %, contre 3 % pour la moyenne de l’équipe. Il propose un plan d’amélioration avec des objectifs chiffrés à atteindre.

3. Encourager l’apprentissage continu et l’auto-évaluation

Proposez des formations, du mentorat ou des missions en binôme. L’exposition à des situations nouvelles aide à prendre conscience de ses limites… et à les dépasser. Valorisez les efforts d’apprentissage autant que les résultats.

Cas pratique :

Un collaborateur très sûr de ses compétences en gestion de projet se voit confier un projet pilote avec un mentor expérimenté. À travers cette collaboration, il découvre des méthodes qu’il ne maîtrisait pas et prend conscience de ses axes de progression.

4. Valoriser l’humilité comme compétence clé

Mettez en avant les collaborateurs qui savent reconnaître leurs erreurs, poser des questions et chercher à progresser. Cela envoie un signal fort : l’humilité est une compétence stratégique, pas une faiblesse.

Cas pratique :

Lors d’une réunion d’équipe, un collaborateur admet ne pas avoir compris une nouvelle procédure et demande de l’aide. Le manager le félicite publiquement pour sa transparence et encourage les autres à faire de même, renforçant ainsi la culture d’apprentissage.

5. Accompagner avec empathie et pédagogie

L’effet Dunning-Kruger est un biais inconscient, pas un défaut moral. En tant que manager, votre posture d’écoute et de soutien est essentielle pour faire évoluer les comportements sans casser la motivation. Encore une fois, l’objectif n’est pas de corriger, mais de faire grandir.

Cas pratique :

Un collaborateur refuse une formation en pensant qu’elle est inutile. Plutôt que de l’imposer, le manager engage une discussion ouverte : « Qu’est-ce qui te fait penser que tu n’en as pas besoin ? » Il l’amène à réfléchir sur ses pratiques, puis lui propose un format adapté à ses besoins.

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Faire de la lucidité un levier de performance collective

L’effet Dunning-Kruger est un biais courant, mais il peut être transformé en opportunité managériale. En instaurant une culture de lucidité, de feedback et d’apprentissage, vous contribuez à construire des équipes plus conscientes, plus alignées et plus performantes.

En tant que manager, votre capacité à détecter ces déséquilibres et à y répondre avec discernement est un véritable atout pour renforcer la maturité professionnelle de vos collaborateurs… et la solidité de votre leadership.

 

 À propos de l'auteur

Sophie Fontelline - Directrice formation & Coach professionnelle Hays France & Luxembourg

De formation supérieure en Ressources Humaines et conduite de projets, Sophie présente une expérience de plus de 15 ans dans le secteur du recrutement. 

Elle intègre Hays en 2008 pour recruter des financiers dans le milieu industriel, et rejoint l’équipe du recrutement et de la formation interne 5 ans plus tard. 

Aujourd’hui coach certifiée elle accompagne ses collaborateurs sur diverses problématiques en matière de développement personnel, tout en continuant à créer et animer des formations en interne.
 

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