Recruté par une IA ? Vos droits et ce que vous pouvez exiger dès aujourd’hui
5 mins de lecture | Marie Maillard & Anne Petillo | Article | Recrutement

Intelligence artificielle et recrutement : comment rester maître de vos candidatures ?
Aujourd’hui, il est devenu courant que des entreprises utilisent l’intelligence artificielle pour analyser des CV, présélectionner des candidatures ou même mener des entretiens vidéo automatisés. Si les technologies de recrutement font désormais partie intégrante des processus de recrutement, les candidats, eux, ne savent pas toujours qu’ils disposent de droits précis. La bonne nouvelle ? Oui, la loi vous protège et vous avez tout à fait le droit d’exiger certaines garanties.
Peut-on légalement être recruté (ou écarté d’un processus de recrutement) par l’intervention d’une IA ?
Non. L’utilisation de l’intelligence artificielle dans le cadre du recrutement est strictement encadrée par plusieurs lois. L’article L.1132-1 du Code du travail français interdit toute forme de discrimination au travail, que l’origine soit humaine ou algorithmique. De plus, le RGPD, le règlement européen de référence sur la protection des données, impose des règles claires sur la façon dont les entreprises peuvent collecter et traiter vos informations personnelles, et garantissent le respect de vos droits.
Et depuis 2024, le règlement européen sur l’intelligence artificielle, appelé RIA, va encore plus loin en classant les outils de recrutement assistés par IA parmi les systèmes à haut risque. En clair, le recours à l’IA est autorisé, mais il est fortement réglementé pour protéger les candidats.
Écoutez également notre épisode : L'IA va-t-elle révolutionner ou détruire le recrutement ? - Hays.fr
Quelles informations pouvez-vous demander à l’entreprise utilisant l’IA dans ses processus de recrutement ?
Dès qu’une intelligence artificielle est utilisée dans le cadre d’un recrutement, l’entreprise a l’obligation de vous en informer. Vous pouvez parfaitement demander quel type d’IA est utilisé et à quelle étape du processus elle intervient. Est-ce l’IA qui trie les CV ? Est-ce elle qui mène l’entretien vidéo ? Ou bien s’agit-il d’un algorithme de notation ? Vous avez également le droit de savoir quelles données personnelles sont collectées à votre sujet, d’où elles proviennent, et comment elles sont utilisées.
Autre point important : l’entreprise doit être capable de vous expliquer comment l’IA prend ses décisions. Quels sont les critères analysés ? Comment sont-ils évalués ? La réponse doit être compréhensible, même si la technologie est complexe. En aucun cas vous ne devez accepter une réponse du type « c’est l’algorithme qui décide » sans explication.
Enfin, vous pouvez demander combien de temps vos données seront conservées. Les entreprises ne peuvent pas stocker vos informations sans limite de durée ni sans finalité précise.
Peut-on refuser une sélection purement algorithmique ?
Tout à fait. Le RGPD, vous donne le droit de refuser qu’une décision automatisée soit prise sans intervention humaine. Si votre candidature est rejetée uniquement parce qu’un algorithme a conclu que vous ne correspondez pas au poste, vous pouvez demander qu’une personne réelle réexamine votre dossier.
Dans le cadre du recrutement, cela signifie qu’un candidat ne peut pas être écarté uniquement sur la base d’une décision automatisée sans qu’un recruteur humain ait le dernier mot. Si vous n’avez pas donné votre consentement explicite à ce traitement automatisé, l’entreprise ne peut pas s’appuyer sur une IA pour vous sélectionner ou vous refuser.
Comment savoir si l’IA utilisée est équitable ?
Les outils d’intelligence artificielle doivent être conçus pour éviter les biais discriminants. Pourtant, des dérives existent. Le cas le plus célèbre reste celui d’Amazon, qui avait dû abandonner son système automatisé de tri des CV car celui-ci pénalisait systématiquement les candidatures féminines. Pourquoi ? Parce que l’algorithme avait été entraîné sur des données historiques biaisées où les profils masculins étaient surreprésentés.
Il est donc essentiel de s’assurer que l’IA utilisée n’exclut pas certains profils sur des critères illégaux ou non pertinents. Vous pouvez légitimement poser des questions au recruteur :
- Comment l’outil a-t-il été conçu ?
- A-t-il été audité pour détecter des biais sexistes, raciaux ou liés à l’âge ?
- Une évaluation humaine est-elle systématiquement réalisée après l’analyse par l’IA ?
En cas de doute, vous avez la possibilité de contester la décision et de saisir la CNIL si vous estimez que vos droits n’ont pas été respectés.
Que prévoit la nouvelle réglementation européenne sur l’IA ?
Depuis l’entrée en vigueur du règlement européen sur l’intelligence artificielle (RIA) en 2024, les entreprises doivent suivre des règles encore plus strictes lorsqu’elles utilisent des IA dites « à haut risque », ce qui est le cas dans le recrutement. Concrètement, cela signifie qu’elles doivent garantir la transparence de leur utilisation de l’intelligence artificielle, informer les candidats de façon claire et assurer un contrôle humain permanent tout au long du processus.
De plus, les entreprises doivent être capables de justifier le fonctionnement de leur système :
- Sur quelles bases repose l’analyse ?
- Quelles sont ses limites ?
- Quelles mesures de contrôle sont en place ?
La loi exige aussi que des dispositifs soient prévus pour permettre une intervention humaine rapide si un dysfonctionnement ou une injustice est détecté.
Que risque une entreprise qui ne respecte pas vos droits ?
Si une entreprise ne respecte pas vos droits en matière de recrutement assisté par l’IA, elle s’expose à de lourdes sanctions. La CNIL peut infliger des amendes allant jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial pour des infractions au RGPD.
En cas de violation du RIA, ces sanctions peuvent grimper jusqu’à 7 %. Au-delà des amendes, la réputation de l’entreprise peut être fortement dégradée, notamment si les candidats dénoncent des pratiques litigieuses ou discriminatoires.
Vous avez aussi la possibilité de saisir la CNIL, de demander la suspension de l’utilisation des outils incriminés à votre égard ou même d’engager une action en justice en cas de discrimination avérée.
Que pouvez-vous faire concrètement en tant que candidat ?
Avant ou pendant un entretien, n’hésitez pas à poser des questions précises : l’IA intervient-elle dans l’analyse de ma candidature ? Quels critères sont pris en compte pour me recruter ? Un recruteur humain prendra-t-il la décision finale ? Si vous avez un doute, demandez à ce qu’un être humain réexamine votre dossier.
Enfin, gardez en tête que vous pouvez à tout moment exercer vos droits d’accès, de rectification ou de suppression des données vous concernant. Vous n’êtes pas obligé d’accepter passivement un processus opaque ou automatisé.
L’IA est-elle un progrès ou un risque pour les candidats ?
L’IA dans le recrutement peut rendre les recrutements plus rapides, plus efficaces et, dans certains cas, plus objectifs. Mais mal utilisée, elle peut aussi reproduire des biais et créer de nouvelles formes d’injustice. Ce que la loi impose aujourd’hui, c’est que l’humain reste au centre du processus et que les décisions prises soient toujours vérifiables, explicables et contestables.
Être recruté par une IA n’est pas une fatalité. Vous êtes en droit d’exiger de la transparence, du contrôle humain et le respect de vos droits. Et c’est précisément ce que la législation vous garantit aujourd’hui.
À propos de l'auteur
Sylvie Taverne – Manager Exécutive Senior
De formation supérieure en Conseil et Gestion stratégique des Ressources Humaines, Sylvie présente une expérience de plus de 20 ans dans le recrutement.
Après une expérience dans le travail temporaire, elle intègre Hays en 2010 et le BTP devient son domaine de prédilection.
Depuis près de 15 ans, Sylvie accompagne les candidats et les entreprises de la région Occitanie dans leur projet de développement professionnel et de recherche de nouveaux talents.
En parallèle, elle évolue sur des fonctions managériales en encadrant l’équipe de consultants dédiés au recrutement permanent CDI et prend la direction du bureau de Montpellier en janvier 2020 avec une équipe de 15 consultants. En juillet 2024, Sylvie est nommée au poste d’Office Manager Exécutif Senior.